Vie et oeuvre d'Edmond Rostand

 

1866 : 5 avril : Naissance de Louis Rose Etienne, de père et de mère inconnus. En réalité, celle qui se surnomme Rosemonde est la fille naturelle du comte Gérard, fils du Maréchal Gérard qui s'est couvert de gloire sous la Révolution et l'Empire. Le comte Gérard reconnaît officiellement sa paternité en 1868 et il lui lègue sa fortune à sa mort en 1880. Rosemonde sera élevée par sa mère, Sylvie Lee, anglaise, veuve et déjà mère de deux enfants, William et Henry. Le conseil de famille qui se charge de prendre les grandes décisions de la vie de la jeune fille comprend les deux écrivains Alexandre Dumas fis et Charles Leconte de Lisle.

1868 : 1er avril : Naissance d’Edmond Rostand, à Marseille, rue Monteaux (aujourd’hui rue Edmond Rostand), au sein d’une famille de la haute-bourgeoisie marseillaise, dont les aspirations sont multiples : le commerce et la finance, mais aussi les arts et les lettres. Son père, Eugène Rostand, économiste et homme politique bonapartiste, commet ainsi une traduction de Catulle, mise en vers. Les Rostand reçoivent Mistral, aident Lamartine à partir pour l’Orient car ils y font du négoce. L’Orient et la fascination qu’il exerce se retrouveront dans les deux premiers succès d’Edmond : La Samaritaine et La Princesse lointaine.

1884 : octobre : Après deux années d’étude au Lycée de Marseille, Rostand entre au Collège Stanislas de Paris, où il griffonne, en marges de ses cahiers, ses premiers vers. Sa formation est classique. Parmi ses enseignants, citons messieurs Doumic, futur directeur de la Revue des Deux Mondes, et Lorber, son professeur d’allemand, qui lui fait découvrir Goethe et son Faust. Sans doute a-t-il une première fois l’idée d’une traduction mise en vers du texte.

1886 : été : Rostand, en vacances avec sa famille à Luchon, rencontre Rosemonde Gérard qui aspire à devenir poète comme lui. Ils se lient d’abord d’amitié avant de commencer un important échange épistolaire, où chacun propose à l’autre ses vers et ses conseils. L’amour nait rapidement, sous le regard bienveillant de la famille de Rostand. Mme Lee est un peu moins enthousiaste, semble-t-il.
octobre : Rostand retourne à Paris pour suivre des études de droit à la Sorbonne. Mais il est déjà décidé à devenir poète, au grand dam de ses parents.

1887 : Poursuivant ses études de droit, contraint et forcé, Rostand, poussé par son père, concourt pour le Prix Maréchal de Villars, de l’Académie des Arts et des Lettres de Marseille. Il remporte le prix avec un essai : Deux romanciers de Provence : Honoré d’Urfé et Émile Zola.

1888 : août : Rostand décide de se lancer corps et âme dans la carrière littéraire, se heurtant farouchement à l’avis de ses parents, et produit lui-même sa première pièce au Théâtre Cluny, co-écrite avec son futur beau-frère, Henry Lee, un vaudeville, Le Gant Rouge, récemment et heureusement retrouvé par Michel Forrier car Rostand s’est évertué, le succès étant là, à en éliminer toute trace d’existence. Rostand s’est considérablement endetté. La pièce, jouée pour la première fois le 24 août, tombe après dix-sept représentations. C’est un échec, Rostand ne veut plus écrire ce type de pièce, veut se consacrer à des sujets plus nobles et manier l’alexandrin. Le Droit et la Sorbonne sont bien loin.

1889 : Rosemonde Gérard publie Les Pipeaux, recueil poétique qui obtient le Prix de l’Académie. La famille d’Edmond a enfin accepté son choix de carrière.

Le dernier rendez-vous ou l'éternelle chanson

Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
Au mois de mai, dans le jardin qui s’ensoleille,
Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants.
Comme le renouveau mettra nos coeurs en fête,
Nous nous croirons encore de jeunes amoureux,
Et je te sourirai tout en branlant la tête,
Et nous ferons un couple adorable de vieux.
Nous nous regarderons, assis sous notre treille,
Avec de petits yeux attendris et brillants,
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs.

Sur notre banc ami, tout verdâtre de mousse,
Sur le banc d’autrefois nous reviendrons causer,
Nous aurons une joie attendrie et très douce,
La phrase finissant toujours par un baiser.
Combien de fois jadis j’ai pu dire  » Je t’aime  » ?
Alors avec grand soin nous le recompterons.
Nous nous ressouviendrons de mille choses, même
De petits riens exquis dont nous radoterons.
Un rayon descendra, d’une caresse douce,
Parmi nos cheveux blancs, tout rose, se poser,
Quand sur notre vieux banc tout verdâtre de mousse,
Sur le banc d’autrefois nous reviendrons causer.

Et comme chaque jour je t’aime davantage,
Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain,
Qu’importeront alors les rides du visage ?
Mon amour se fera plus grave – et serein.
Songe que tous les jours des souvenirs s’entassent,
Mes souvenirs à moi seront aussi les tiens.
Ces communs souvenirs toujours plus nous enlacent
Et sans cesse entre nous tissent d’autres liens.
C’est vrai, nous serons vieux, très vieux, faiblis par l’âge,
Mais plus fort chaque jour je serrerai ta main
Car vois-tu chaque jour je t’aime davantage,
Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain.

Et de ce cher amour qui passe comme un rêve,
Je veux tout conserver dans le fond de mon coeur,
Retenir s’il se peut l’impression trop brève
Pour la ressavourer plus tard avec lenteur.
J’enfouis tout ce qui vient de lui comme un avare,
Thésaurisant avec ardeur pour mes vieux jours ;
Je serai riche alors d’une richesse rare
J’aurai gardé tout l’or de mes jeunes amours !
Ainsi de ce passé de bonheur qui s’achève,
Ma mémoire parfois me rendra la douceur ;
Et de ce cher amour qui passe comme un rêve
J’aurai tout conservé dans le fond de mon coeur.

Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
Au mois de mai, dans le jardin qui s’ensoleille,
Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants.
Comme le renouveau mettra nos coeurs en fête,
Nous nous croirons encore aux jours heureux d’antan,
Et je te sourirai tout en branlant la tête
Et tu me parleras d’amour en chevrotant.
Nous nous regarderons, assis sous notre treille,
Avec de petits yeux attendris et brillants,
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs.

Rosemonde Gérard

1890 : janvier : Rostand publie son premier recueil de poèmes, Les Musardises. Vendue seulement à quelques dizaines d’exemplaires, l’édition s’est en réalité faite à compte d’auteur, en cachette d’Edmond, Rosemonde ayant payé Lemerre. Quelques critiques évoqueront cependant favorablement l’ouvrage… source d’espoir pour le poète !

Le livre de l'Aimée

Dans mes jours noirs de spleen, de doute de moi-même,
Où plus fort que jamais j'ai besoin que l'on m'aime, —
Je vais à vous ainsi qu'à sa mère un enfant,
Mon amie, — et vous dis mon chagrin étouffant.
Je m'agenouille, — et sous vos clairs regards de femme,
Sous vos regards aimants, j'ouvre toute mon âme.
Comme en votre raison saine je crois beaucoup
Je me sens mieux quand vous m'avez traité de fou,
Quand vous m'avez montré de quoi je me désole,
Quand vous avez raillé ma peine qui s'envole!
Que de fois vous m'avez ainsi réconforté!...

De même, lorsqu'on est seul dans l'obscurité,
L'imagination s'épouvantant des ombres,
On met des spectres noirs dans tous les recoins sombres
Et, l'oeil s'hallucinant, on voit sur le tapis
Les fauteuils comme des fantômes accroupis,—
De même bien souvent je peuple de chimères
Ma solitude, et fais des souffrances amères
De rien, — et j'ai besoin qu'on me dise: Mais non!
Vous rêvez! — et que l'on appelle par leur nom
Ces petites douleurs dont je me fais des grandes.

Comme le jour naissant chasse les sarabandes
Des spectres, — fait revoir les objets familiers
Qui prenaient dans la nuit des aspects singuliers, —
En mon âme aux pensers noirs vous donnez la chasse
Et d'un mot de bon sens vous mettez tout en place.

Et comme l'on bénit le matin, disperseur
Des ombres, je bénis votre parler berceur,
Endormeur des chagrins et des inquiétudes...
Je vous aime pour vos chères sollicitudes
De mère, ces jours-là, — lorsque vous me prenez
Le front entre vos mains, et que vous devinez
Précisément les mots que j'ai besoin d'entendre.
O mon Amie, amie adorable et très tendre,
Qui comprenez mes sentiments les plus ténus,
Vous qui savez, du bout de vos doigts si menus,
Écraser, aussitôt qu'elle perle, une larme...
Que de fois vous avez rompu le mauvais charme !
Que de fois vous avez donné des soins adroits
A ma mélancolie, — et combien je vous dois!...

Dans mes jours noirs de spleen, de doute de moi-même,
Où plus fort que jamais j'ai besoin que l'on m'aime, —
Lorsque j'ai sur le coeur un chagrin étouffant,
Je vais à vous ainsi qu'à sa mère un enfant!...

Edmond Rostand


avril : Rosemonde et Edmond se marient. Naîtront en 1891 leur premier fils, Maurice, poète et dramaturge comme son père, puis en 1894, Jean, philosophe et biologiste, académicien en 1959.

1891 : Rostand parvient à avoir ses entrées à la Comédie française auprès de Jules Claretie, son administrateur. Il propose d’abord un acte, en 1891, Les deux Pierrots, qui sera refusé. Pierrot qui pleure et Pierrot qui rit cherche à séduire Colombine… Qui y parviendra ? Pierrot qui rit car il pleure de n’avoir pas été choisi ! On laisse cependant entendre à Rostand que la prochaine pièce pourrait être la bonne.

1892 – 1893 : Rostand se lance dans de très nombreux projets littéraires souvent morts-nés. C'est à peu près à cette période que Rosemonde décide de ne plus écrire pour elle mais de se mettre entièrement au service de l'oeuvre de son mari. Rostand travaille cependant régulièrement à la traduction du Faust de Goethe et à une nouvelle œuvre, Les Romanesques, dont l’histoire s’inspire très librement de Roméo et Juliette : un jeune homme, Percinet, revient chez son père après ses études, tandis qu’une jeune fille, Sylvette, fraîchement sortie du couvent, rentre chez le sien. Les parents, qui sont voisins, se détestent abominablement. Ce qui devait arriver arriva et les deux jeunes gens, qui ne se connaissaient pas auparavant, tombent amoureux l’un de l’autre ! Seulement, les parents ne se détestent pas vraiment : ils ont feint une haine pour que leurs enfants se rapprochent… pariant sur le besoin de romanesque de la jeunesse ! La pièce, rapidement écrite, sans doute achevée dès 1892, a cependant du mal à trouver sa place dans la programmation de la Comédie-Française, est sans cesse reportée et Rostand désespère de parvenir à la faire jouer.

1894 : mai : Rostand continue à travailler. Il parvient ainsi à faire jouer, Les Romanesques, le 21 mai, chez Molière. Fort appréciée, la pièce fut cependant peu jouée. Le succès d’estime lui permet néanmoins de rencontrer Constant Coquelin et Sarah Bernhardt, les deux plus grands comédiens de cette fin de siècle. Rostand se remet encore à sa traduction de Faust et écrit à sa demande, un rôle, pour Sarah, séduite mais uniquement platoniquement par ce jeune poète prometteur car une vingtaine d’années les sépare. Première consécration pour notre poète.

1895 : 5 avril : On représente ainsi pour la première fois au Théâtre Sarah Bernhardt, La Princesse lointaine, pièce en quatre actes et en vers. Au Moyen Âge, Jaufré Rudel, un troubadour provençal ayant réellement existé et que Rostand a redécouvert en lisant Joseph Bédier, s’est épris d’une princesse, Melissinde, sur les descriptions qu’en ont pu lui faire les pèlerins revenant de Jérusalem. Follement amoureux, mais mortellement malade, il décide de partir pour Tripoli, pour voir cette princesse avant de mourir… La pièce commence quand le navire qui le transporte arrive dans le port…La Princesse lointaine est encore un succès d’estime. Certes, Sarah a finalement perdu de l’argent. Mais elle croit en son futur grand poète et Rostand se remet au travail, reprenant sans doute Faust, commençant une comédie, La Maison des Amants, restée inachevée, et créant un nouveau rôle pour Sarah.

1897 : 14 avril : On crée sur les planches du même théâtre, La Samaritaine, Évangile en trois tableaux et en vers, pour le Vendredi Saint. La pièce, qui retranscrit assez fidèlement un épisode de l’Évangile de Jean, l’arrivée de Jésus en Samarie et la conversion d’une pécheresse, est sans doute la pièce où Rostand se fait le plus mystique, où sa pensée tend le plus vers l’idéal. La Samaritaine est la clé de l’œuvre rostandienne. Parallèlement aux répétitions, il se met à l’écriture de Cyrano de Bergerac.

28 décembre : triomphe de Cyrano de Bergerac, dont le rôle-titre est joué par Constant Coquelin. Qu’on imagine un peu l’ambiance qui anima les coulisses peu avant le lever de rideau de la générale. Rostand, toujours anxieux et dépressif, parle d’un four, s’excuse auprès de ses comédiens, auprès de Coquelin qui produit également le spectacle… Mais le rideau se lève… Rostand s’est glissé parmi les figurants de l’acte I pour bien ordonner leurs déplacements… et un ange passe sur l’orchestre où le tout Paris s’est installé… tirade des nez… ballade du duel… fin de l’acte… Cyrano part porte de Nesle se battre un contre cent… et la foule applaudit, se lève déjà… La pièce est un triomphe. Rostand est décoré de la légion d’honneur lors du dernier entracte ! On applaudit pendant une heure la pièce à la fin et la nouvelle s’est répandue dans les autres théâtres… il y a ce soir-là un chef d’œuvre de plus au monde… Cyrano est un triomphe les jours suivants, les mois qui suivent, la salle ne désemplit pas. Les tournées Montcharmont diffusent la pièce dans tout le pays, puis dans tous les pays : la pièce, traduite dans de très nombreuses langues, fait le tour du monde et fait surprenant, le personnage de Cyrano devient un symbole patriotique dans tous les pays où il est mis en scène. Cyrano symbolise l’amour de son pays, pas la haine des autres. Il peut donc y avoir un Cyrano japonais comme un Cyrano polonais, un Cyrano français comme un Cyrano allemand…

1898-1899 : L’affaire Dreyfus, du nom de l’officier français juif condamné deux ans plus tôt pour trahison, s’invite à la une des journaux et à la table de toutes les familles. Rostand sera dreyfusard, toute sa vie, même après les succès de Cyrano et de L’Aiglon, qui sont récupérés par les partisans du nationalisme français. Qui lit L’Aiglon, mais aussi Chantecler où son héros est un coq gaulois, comprend que Rostand aime son pays, avec passion, qu’il est patriote, comme on l’est en 1791, mais qu’il est par essence pacifique. L’Aiglon est un plaidoyer contre les horreurs de la guerre. Rostand, issu d’un milieu très bourgeois mais aussi très humaniste, n’est pas socialiste, mais quand la première guerre mondiale arrivera, il fera tout pour soutenir les soldats français, comme ceux qui le sont.
Le succès véhicule également son lot de contraintes : Rostand devient une figure du tout Paris et l’on s’arrache de ses nouvelles… Pas une semaine sans qu’une revue ne parle de lui. Très sollicité, Rostand s’efforce de répondre présent le plus souvent, offrant par là une préface, par ici un discours, et, quand on lui en laisse le temps, des poèmes. Les années 1898-1899 s’écoulent sans une nouvelle œuvre mais il multiplie les projets, reprenant notamment La Maison des Amants et s’attelant déjà à un autre projet ambitieux, raconter la triste fin d’un enfant, le fils de Napoléon.

1900 : 15 mars : Création au Théâtre Sarah-Bernhardt de L’Aiglon. La peur de l’échec qui l’animait déjà avant son triomphe a redoublé d’intensité avec le succès : parviendra-t-il à répéter le coup de génie de Cyrano de Bergerac? Le choix de son sujet est déjà une réponse : Rostand ne veut pas décevoir son public, qui s’attend à un certain type de pièce, un drame historique, qui célèbre les valeurs nationales. Mais L’Aiglon est davantage une réflexion sur la légende napoléonienne qu’une réflexion sur l’histoire. Le public et la critique sont enthousiasmés par ce qui apparaît comme une violente charge anti-allemande et autrichienne… Mais on ne prend pas le temps de comprendre le message pacifiste de Rostand. On croit que la pièce est un appel à la revanche, quand elle est un plaidoyer contre la guerre… et on veut de nouveau et plus encore que jamais faire de Rostand un membre du parti de la guerre, un nationaliste, cliché qui perdure encore. Sarah Bernhardt est jugée merveilleuse dans le rôle d’un jeune homme qui n’a pas l’âge de son fils. La tradition fera d’ailleurs que pendant des dizaines d’années, seules des femmes joueront le Duc de Reichstadt. La pièce est un nouveau triomphe, à peine moins important que Cyrano.

Rostand, suite à la fatigue des répétitions de L'Aiglon, tombe gravement malade et sa vie est en danger. Rosemonde est alors une infirmière de tous les instants, avec abnégation. Atteint d'une pneumonie qui tourne à la pleurésie, il est soigné par le docteur Grancher qui lui conseille de partir quelques temps au Pays Basque. Las aussi de la vie mondaine et de son exposition permanente, il se réfugie à Cambo

1901 : 30 mai : Rostand est élu à l’Académie française : il est alors le plus jeune académicien. Il repousse sans cesse le jour de sa réception, qui n’aura lieu finalement que le 4 juin 1903.

1902 : Rostand s’isole au Pays basque, trop exposé à Paris à cause de ses succès, doutant toujours plus de ses capacités à écrire un autre chef d’œuvre. Il passe par de longues phases où il n’ose pas écrire une seule ligne, où il détruit ce qu’il a écrit la veille. Il ne vient qu’épisodiquement à Paris. Pourtant il pense déjà à sa nouvelle pièce, Chantecler : depuis cette année au moins il consacre la plus importante part de son énergie créatrice, très vacillante, à écrire cette histoire sans homme, où tous les personnages sont des animaux, avec ce coq qui croit faire lever le soleil par son chant… La pièce est sans cesse annoncée, sans cesse repoussée. Faust est de nouveau à l’ordre du jour.
Février : dans le cadre du centenaire de la naissance de Victor Hugo, Rostand publie un hommage le 26 février chez Fasquelle, repris le 4 mars dans la revue Le Gaulois, Un Soir à Hernani. Il est unanimement considéré comme l’héritier du grand poète : pression supplémentaire s’exerçant sur un esprit en plein doute.

1903 : On annonce dans la presse la prochaine création du Faust de Monsieur Rostand. La pièce est promise à Constant Coquelin. Des « fuites » évoquent déjà Chantecler et se multiplieront jusqu’à la première représentation de la pièce.

1903-1913 : Ses relations avec sa femme se dégradent épisodiquement, en même temps que sa santé, alternant avec des périodes de réconciliation et de convalescence. Elle prend vraisemblablement des amants, lui des maîtresses. On ne sait qui a commencé même si on soupçonne Edmond. En 1911, la seconde édition des Musardises ne comptera plus les poèmes consacrés à Rosemonde. La séparation sera définitivement consommée en 1911, même s’ils ne divorcent pas, chacun gardant auprès de lui un enfant. Jean restera avec son père, et Maurice, le poète et romancier, avec Rosemonde. Elle se lie en 1909 avec Tiarko Richepin, de vingt ans son cadet, ami de Maurice.

1906 : Rostand prend possession de la superbe villa qu’il s’est fait construire à partir de 1903, près de Cambo-les-Bains, la Villa Arnaga.

1910 : 7 février : Chantecler, dont le public entend parler depuis 1903, est enfin représentée au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Mais sans Coquelin qui avait pourtant un nom prédestiné pour jouer un coq. L’attente a été trop longue, il est mort avant. La pièce est un succès populaire mais est éreintée par la critique. Le tout Paris siffle le soir de la générale. La pièce, particulièrement ambitieuse, ne ressemble pas assez à ce qu’il a écrit avant. Rostand rentre donc dans sa Villa Arnaga : il ne fera plus jouer de nouvelles pièces, trop certain d’être encore incompris, d’autant que sa relation avec Rosemonde s’est fortement détériorée et ce n'est qu'avec elle qu'il parvient véritablement à donner le meilleur de lui-même.

Deux autres femmes entrent alors dans sa vie : la poétesse Anna de Noailles et la comédienne Mary Marquet en 1917.

1911-1914 : Rosemonde collabore avec leur fils Maurice à l’écriture d’Un bon petit diable et de La Marchande d’allumettes.

1911 : Rostand parvient cependant à écrire un long poème, Le Cantique de l’Aile, en l’honneur des premiers aviateurs, héros modernes, ainsi qu’une pièce quasi terminée, La Dernière Nuit de Don Juan qui commence où s’achève la pièce de Molière. Cette œuvre ne sera publiée qu’après sa mort, de même qu’une seconde version de La Princesse lointaine, pourtant promise à Sarah Bernhardt.

1912-1913 : Lors d’interviews, Rostand évoque de nouveau Faust, en précisant que l’œuvre ne sera pas jouée dans l’immédiat.

1914-1918 : La guerre semble redonner un souffle nouveau au poète : il cherche à s’engager, sûr du bon droit de son pays, mais, à son grand désespoir, il est réformé. Il va alors manifester son soutien aux poilus en organisant de nombreuses journées où il récolte des fonds et devient infirmier-auxiliaire au Pays basque. La guerre est source de conflits avec ses enfants résolument pacifistes et qui ont évité la conscription. Sur son insistance, ils s'engagent mais ne seront pas au front.

Rostand se déplace plusieurs fois au front justement. Ses poèmes d’alors, réunis dans le recueil Le Vol de la Marseillaise, sont cependant peu réalistes : il ne s’agit plus de dénoncer l’horreur de la guerre comme dans L’Aiglon, mais d’encourager et de soutenir le courage des héros ordinaires. La fin de la guerre étant annoncée, il se précipite à Paris, où il contracte la grippe espagnole, sans doute lors des répétitions de L’Aiglon, reprise pour fêter la victoire. Rostand s’éteint le 2 décembre 1918, à cinquante ans.

Rosemonde, après-guerre, donne une série de conférence sur l'oeuvre de son mari et les souvenirs qui les entoure. Elle publie un Edmond Rostand où elle consigne d'autres souvenirs encore. Elle reprend une carrière littéraire personnelle, devient membre du jury du prix Femina et meurt en 1953.

Maurice Rostand, avec le soutien de sa mère dans un premier, se lance dans une carrière littéraire assez prolifique entre les deux guerres et s'engage pour le pacifisme. Ami de Cocteau notamment, il est le fidèle compagnon de la vieillesse de sa mère. Jean devient un brillant biologiste et académicien à son tour comme son père.

Vie d'Edmond Rostand - Le spectacle

http://www.lesrostand.com

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ou

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Edmond à 18 ans

"Ma mie, je suis venu vous écrire dans le fameux salon de lecture… C’est deux heures, personne au casino ; un grand silence. Là, en face de moi le joli coin de canapé où on était si bien. Je vous adore, mon trésor.
J’ai renvoyé les épreuves à Lemerre ; j’ai trouvé le vers pour remplacer

XXX De l’harmonie à grands flots épanchée
J’ai mis
XXX De l’harmonie en ondes épanchée…

À la réflexion c’est très bien, d’autant que l’on dit les ondes sonores. Et puis à l’oreille en le disant cela fait comme une ondulation. La musique de violon s’épanche bien en ondes.
Mie, je suis heureux, heureux de savoir que les bonnes dispositions de Mme Lee continuent. Comment ! elle trouve mes vers bons !... Mon Dieu ! que les temps sont changés !... Mais racontez-moi ce qu’elle dit quand vous lui en lisez. Vraiment ça, c’est drôle !... Voyons, il n’est pas possible qu’elle ait dit : c’est merveilleux. Dites moi exactement ce qu’elle a dit, sans exagération.
Je veux que vous m’expliquiez ce que c’est que vos migraines et ce qu’en dit le médecin. À quoi attribue-t-il ça ? – Et comment les soigne-t-il ? – Ne vous tourmentez pas du tout, du tout, du tout.
[...]
Mon mimi, moi je me trouve mieux, je gagne en mine chaque jour.
Mon père a revu mes épreuves, car il a l’habitude et il a corrigé un tas de petites choses que j’avais laissé échapper. Il a dit une chose qui pour lui est énorme ; – d’abord il a trouvé excellent le Vieux Pion, les Atomes, le Tambourineur qu’il aime beaucoup, les Nénuphars… et il a ajouté : dans cette partie évidemment il n’y en a pas une, pas une seule, de faible ! – Il faut que cela soit bien fort !
Cher petit Amour je me consume d’amour, je suis une pauvre bougie qui se brûle jusqu’à la bobèche ! – Je t’adore, je t’adore ! Sais-tu que le temps diminue tout de même ; que nous n’avons guère que 25 jours si vraiment Mme Lee te fait le plaisir de rentrer de bonne heure à Paris… Oh ! 25 jours, c’est encore 25 siècles ! Mais dire qu’il y a déjà plus d’un mois de passé ! Vois-tu nous n’avons supporté cela que parce que nous sentons bien nettement que c’est la dernière fois et que dès la rentrée les événements se précipiteront. Ça ne sera pas long, notre mariage.
Oh ! pourvu qu’il n’y ait pas de troubles trop grands pour mes pauvres Musardises, pas de révolution après ces élections, et surtout pas de guerre comme on le dit. Une guerre en ce moment, quel écroulement ! Puisque tu pries tu peux prier pour que cela n’arrive pas !
"

Lettre d'Edmond à Rosemonde (~1889)

Manuscrit de Faust

Manuscrit de Faust, écriture de Rosemonde et correction d'Edmond

Rosemonde Gérard, par Hélène Dufau

Lucien Guitry en Flambeau, dans L'Aiglon

Edmond Rostand en 1900

Sarah Bernhardt à l'époque de L'Aiglon 1900

Rosemonde Gérard et Sarah Bernhardt à Cambo-les-Bains