Le Faust de Rostand

FAUST

Plus de glace aux ruisseaux ; et tout revit sur terre !

Tout rit. Il a suffi d'un clin d'œil du Printemps.

L'hiver fuit, et tout en fuyant, de temps en temps,

Nous mande encor de loin quelques vaines gelées

Dont l'argent vient strier le sol vert des allées.

Le Soleil, coloriste aimant les tons tranchés,

Interdit les blancheurs, et, comme il trouve à peine

Quelques fleurs pour piquer des notes sur la plaine,

Il prend, au lieu de fleurs, les gens endimanchés !

Tourne-toi vers la ville, et vois s'écraser presque

Sous le haut porche obscur, ce gai flot pittoresque !

Tout veut se soleiller, tout sort de la Cité.

Ils fêtent aujourd'hui le Christ ressuscité ;

Cela, parce qu'ils sont ressuscités eux-mêmes.

Hors des basses maisons aux pauvres carreaux blêmes,

Hors des vagues comptoirs, des ateliers étroits,

Hors de l'étouffement des poutres et des toits,

Hors de l'étranglement des ruelles sans brises,

Hors de l'ombre éternelle et froide des églises,

Ressuscités à la lumière, dans les champs !

Le fleuve a des bateaux qui se bercent de chants !

Est-il plein, ce dernier canot que l'on démarre !

En font-ils, au village, un joyeux tintamarre !

Les petits sont contents, les grands le sont aussi.

Ah ! le vrai paradis du peuple, c'est ici.

Et je le sens, parmi cette foule ravie,

Ah ! je vis !... je reprends tous mes droits à la vie !

 

Ces quelques vers, dédiés au printemps qui ressuscite les âmes, au soleil qui repousse les œuvres de la Nuit, auraient pu être prononcés par le coq Chantecler. Ces quelques mots, Edmond Rostand, l'auteur de La Samaritaine, cet évangile en vers tiré de saint Jean joué par Sarah Bernhardt quelques mois seulement avant Cyrano, aurait très bien pu les faire dire à d'autres personnages encore de son théâtre : peut-être à son aiglon, à cet orphelin écrasé par l'immense ombre de Napoléon, son père, et par la faiblesse de sa santé. Peut-être à son Cyrano lui-même, au seuil du tombeau, un brin nostalgique du temps perdu à vivre sans Roxane.

Ces quelques vers, Rostand a bien choisi de les donner à l'un de ses personnages. Mais ne les cherchez pas dans ses œuvres complètes : vous ne les trouverez pas. Car ce personnage, si familier pourtant, si rostandien par ses élans, par ses enthousiasmes, par ses aspirations, trop souvent avortées, mais aussi par ses faiblesses, par ses défauts, par son orgueil, par ce mélange permanent de sublime et de grotesque, est, encore, pour nous, pour vous, un inconnu.

Inconnu, il ne nous l'est certes qu'à moitié, parce que le docteur Faust, puisque c'est de lui qu'il s'agit, puisque c'est lui que nous avons vu renaître à la vie, quelques heures seulement avant de succomber à la tentation et à Méphistophélès, le diable, est le personnage principal du chef d'œuvre de Goethe qui porte son nom.

C'est bien Goethe que l'on entend aussi, mais au travers de notre poète, dans un discours étonnant à deux voix où chacun crée : lorsque le traducteur est un grand poète, il ne parvient jamais véritablement à s'effacer mais apporte à l'œuvre première ce je ne sais quoi, retenez l'expression, qui la grandit, l'embellit et la fortifie. Rostand , en se mettant dans un premier temps au service de Goethe, de ses mots, de ses idées, poursuit dans un second temps son œuvre personnelle, la complète et l'éclaire : Faust, par les choix d'adaptateur effectués par Rostand, s'enrichit du réseau d'écho et de correspondances créés par les grands héros rostandiens et y participe à son tour. Les œuvres d'un grand auteur dialoguent entre elles : c'est une même conception de la vie, de la littérature qui est discutée au fil du temps et Faust prend toute son ampleur dans cette perspective et donne une profondeur supplémentaire aux autres pièces de Rostand. L'ensemble d'une œuvre est comme un puzzle : chacune des pièces ne donne qu'une vision morcelée et incomplète de l'ensemble, tandis que d'autres pièces manquent cruellement à qui veut vraiment posséder l'œuvre.

Aussi cette pièce jusqu'à aujourd'hui inconnue, nous permet-elle enfin d'avoir une petite idée, une petite idée seulement car le chemin est toujours long lorsqu'il mène à la connaissance, de cette vue d'ensemble qui a trop longtemps fait défaut à la recherche rostandienne, qui a trop longtemps permis à de nombreuses erreurs de se développer.

Cyrano, L'aiglon, Chantecler et plus évidemment Don Juan, gagnent en complexité, se livrent davantage au contact du docteur Faust, et réciproquement : la foi simple du coq poète, torturé par le doute de ne pas parvenir à faire se lever le soleil, se retrouve dans le doute permanent du savant allemand, l'enthousiasme religieux et littéraire de Jaufré Rudel, le poète héros de La Princesse lointaine , s'éclaire sous un autre angle quand on le confronte au spleen de Faust, à son dégoût de la vie et de l'espoir.

Rostand a sans cesse repris sa traduction, il avait donc en tête, peut-être pas en permanence car nous ne pouvons le vérifier, mais très régulièrement, cela est certain, les aventures de Faust et de Méphistophélès, le diable, lorsqu'il composa ses chefs-d'œuvre.

Le manuscrit retrouvé nous dévoile donc un Rostand jusqu'à présent inconnu.

L’année 2003 a vu l’acquisition en ventes publiques, à la suite du décès de François Rostand, le petit-fils d’Edmond et de Rosemonde Gérard, par la Villa Arnaga et la mairie de Cambo-les-Bains, d’une série de feuillets manuscrits de la traduction, adaptation et mise en vers du Faust de Goethe par Edmond Rostand. L’achat de ce manuscrit a ensuite permis la réorganisation et le reclassement progressifs des archives du Musée : furent ainsi retrouvés  deux tapuscrits de ce même Faust, dont l’un a été mis en forme par Rosemonde ainsi qu’une autre série de feuillets manuscrits. C’est donc une œuvre inédite, quasiment achevée, qui a pu être mise à jour !

Le lecteur trouvera dans l’édition une histoire plus complète de ce manuscrit qui bouleverse considérablement la perception de l'oeuvre de Rostand : Le poète eut vraisemblablement l'idée d'une traduction de Goethe entre 1884-1887, lors de sa scolarité au collège Stanislas. Peut-être a-t-il commencé alors une ébauche mais l'essentiel du travail va être effectué entre 1893 et 1895, puis entre 1900 et 1903. Il est ensuite possible qu'il s'y remette épisodiquement après 1910 et ce jusqu'au début de 1912 mais jamais plus avec l'idée en tête de la faire représenter.

 

Extraits de la pièce

extrait 1

extrait 2

extrait 3

 

La création de la Compagnie Intersignes


Regard sur la tournée 2013 du Faust de Rostand... par pbulinge 

Dossier de présentation du spectacle

coupures de presse des tournées de Faust.